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SALUT LES COPAINS

Quand vous voulez passer une bonne soirée, allez écouter un concert de rockab. L'évènement est suffisamment rare à Toulouse où la communauté des fans de Johnny Burnette et Gene Vincent ne dépasse pas au mieux une quinzaine de personnes en comptant les vieillards et les enfants. On en connaît deux qui viennent au Saint, des minets siamois (twin cats) qui tirent dans la catégorie poids plume. lis sont tellement petits que leur menton arrive à peine au bar et qu'ils pèsent bien leur soixantaine de kilos à deux sur la balance, mais le talent n'est pas une affaire de quintaux, la preuve avec la bouillie servie par les métalleux qui font tous plus de cent kilos. Donc, nos jumeaux ont monté un groupe qui s'appelle lous Branlougas, ce qui leur va comme un gant après le triste spectacle des balances où personne ne sait comment sonoriser la contrebasse, surtout pas le sonorisateur qui cherchait des volontaires pour lui expliquer comment fonctionnait la console une demi-heure avant le set. Peu importe, avec l'enthousiasme d'un club de promotion d'honneur qui affronte une équipe de division I, ils sont montés sur scène avec la basse électrique d'un cousin et embauché un intérimaire à la batterie, le titulaire du poste s'étant fait porter pale sans même envoyer de mot d'excuse ni d'arrêt maladie.
Ce qu'il y a de curieux chez les rockab, c'est que les mecs sont tous plus maigres que des punks, alors que leurs gisquettes profitent et ont du mal à dissimuler leurs bourrelets sous leurs robes à pois. La pause jambon-beurre qui a précédé le set constitue peut-être un début d'explication, les nanas se tapant le cochon et les matières grasses pendant que les mecs se contentaient du pain rassis. C'est beau l'amour ! Et puis, le genre à ses anciens, des mecs de cinquante ans qui écument les fêtes de village de l'Ariège et de l'Aveyron depuis l'année où les Chats Sauvages ont viré Dick Rivers. Eux, ils s'appellent les Zodiacs parce que ça sonne high-tech et savent sortir un son d'une contrebasse (à mon avis, les Branlous auraient du essayer en branchant l'ampli, enfin moi, ce que j'en dis ... )
Donc, l'équipe minime chauffe la salle puis fait place à l'équipe première, menée par un avant-centre coiffé comme Robert Gordon dans les années quatre vingt, c'est-à-dire les cheveux presque rasés avec juste une petite touffe de poil sur le haut du crane. C'est drôle, ça lui fait une tête de poisson et d'ailleurs je crois qu'il y a des régions de Bretagne où on porte ainsi la bigoudaine en hommage aux morutiers. Peu importe la taille de la banane, on peut prendre du plaisir si c'est fait avec amour, et notre homme prouve illico qu'il a des ressources. Je ne sais pas quel est l'imbécile qui lui a glissé des oursins dans le pantalon, mais à peine est- il monté sur scène qu'il se met à crier, hurler, gesticuler, se gratter, se rouler par terre, pleurer sa mère, demander pardon, s'enfuir en courant, revenir sur le dos, vider ses poches, déchirer sa chemise ....
On est là, impuissant. On voit un homme qui souffre et nous lâchement, on assiste à son agonie, sans rien dire, sans rien faire. J'ai bien pensé l'attraper, le coucher en chien de fusil, lui tirer la langue pour qu'il ne l'avale pas et tenter un bouche à bouche, mais c'était trop tard, il était déjà grimpé sur un escabeau et était en train d'essayer d'avaler le micro. A ce propos, j'ai déjà vu des chanteurs (surtout des chanteuses d'ailleurs) sucer le micro.

Il y en a qui passent juste les lèvres et l'effleurent, d'autres qui mettent la langue, d'autres encore qui mettent tout dans la bouche et s'aident avec la main. Mais là c'était Deep Throat, ce mec, c'est le petit frère de Linda Lovelace. Bon, j'ai pas eu le temps de lui demander quel goût ça a, fraise ou caramel, mais en tout cas ça sentait le caoutchouc brulé. La performance a du être colportée jusque chez tonton, car la salle s'est remplie d'un coup de curieux, de badauds, de pochtrons, de passants attirés par les cris, et même de quelques touristes japonais venus prendre des photos.
Ce qu'il y a de respectable chez les rockab, c'est qu'ils ont compris que dans la musique, pour durer, il ne faut pas devenir sourd trop jeune. Alors, pas le déluge de décibels comme chez les garageux et les hardeux. Ils jouent sur du matériel d'époque avec des amplis qui fonctionnent avec des piles douze volts. C'est pour ça que les grands rassemblements ont toujours été des échecs et que dans les années soixante, les aficionados, énervés de payer leur place pour ne rien entendre, cassaient les fauteuils de l'Olympia.
Tiens, on aurait même pu dire aux scooteristes de venir, pour une fois, ils n'auraient pas eu besoin de mettre des boules quies. Mais vous savez comme ils sont, les mods.
Depuis Quadrophonia et les évènements de Brighton, ils en veulent aux rockers et ils font du boudin. En tout cas, s'ils attendent la reformation des Yardbirds pour venir écouter un concert au Saint, ils peuvent attendre encore longtemps.
Le Lux Interior toulousain a maintenant enfilé une blouse et mis des lunettes et un faux nez. C'est le docteur Frankenstein qui donne un cours au tableau noir aux jeunes cons qui sont rentrés là par hasard pour épater leurs copines au baby-foot.
l'adore la fusion. Là, c'est le rock n'roll et le cirque. Et puis, comme il n'a pas fini de se casser la voix, il remet ça sur scène pour deux ou trois morceaux.
Le final est somptueux, les branleurs remontent sur scène et s'achèvent avec un morceau des Cramps. Ils sont heureux, les jeunes, ils viennent de passer avec succès leur oral au Saint des Seins, lieu mythique de la scène pop sucrée toulousaine.
Je me retourne vers les serveurs. Ramon nettoie les verres en sifflant la Bamba, Nico raconte pour la vingtième fois de la soirée sa vanne sur la cuisse de Jupiler et ça le fait toujours autant rire, et Pedro ... Pedro esquisse un sourire !!!!. ... Ah non, il s'est brulé ??? Je me disais aussi .....
En tous cas toutes ces pitreries, ça fait boire, ça fait pisser, ça fait roter, ça fait péter, c'est beau comme du Bigard ..
l'ai même vu un vétéran de la guerre de sécession avec un tee-shirt sur lequel était
écrit: «Rock n'roll never die », comme quoi, il n'y a pas que Pedro qui collectionne les slogans idiots. Enfin voilà, il est tard, je finis mon papier et il y a ma dame qui sort de la salle de bain en sentant la pate dentifrice.
Je vais me pieuter! Tu viens te coucher? Moi, ce concert ça m'a mis la banane et le nuit tous les cats sont gris. l'arrive moi aussi, je vais te pieuter !